samedi 15 mars 2014

Lagertha Lothbrok. (texte perso ©)

              Elle se penche. Lentement. Elle écoute. Elle écoute et ce silence total l’effraie. Un genou à terre. Sur son visage, le sang d’un autre a déjà séché. Elle s’autorise à respirer de nouveau. Et cette inspiration lui fait plus mal encore que la plaie béante le long de sa cuisse nue. La fumée noire se propage dans le ciel. Et tout autour, le vide. La solitude, qui réveille toutes les douleurs. Mais… elle est vivante ; les dieux ont eu la clémence de lui offrir une dernière chance. Pourquoi elle ? Ils étaient ensemble sur le champ de bataille. Elle n’est pas plus méritante que les hommes qu’elle épaulait, les hommes qui sont morts au combat et dont les cadavres s’étendent à ses pieds, jonchant l’herbe roussie de cette plaine immense. Elle n’est pas triste. Presque pas. Non, elle les envie : ils doivent être en route pour le Valhalla – lorsqu’ils en passeront les portes, ils festoieront en paix. Pas comme elle, qui a survécu au carnage. Pas comme elle, qui a remporté les droits de l’existence malgré cette défaite. Pas comme elle dont les doigts fins viennent effleurer la joue de l’époux qu’elle vient de perdre. Elle le retrouvera, plus tard. Jusqu’à ce que ce moment arrive, elle sait qu’il l’accompagnera. Partout. Toujours. Elle sait qu’il lui donnera la force. La force d’élever leurs deux fils. Seule. La force de retourner se battre sans relâche. Seule. La force d’avancer. Seule. Elle ne pleurera pas ; elle ne sait pas pleurer. Pourtant, en contemplant les traits figés de son guerrier défunt, elle se souvient avec mélancolie. Elle se rappelle leurs nuits d’amours, elle l’entend encore murmurer son nom, dans un souffle, dans un cri, elle plonge dans l’océan de ses yeux désormais éteints… et s’y laisse couler. Avec sa voix voguaient les drakkars, et elle voyait le fjord au fond de ses pupilles. Elle ne sait pas pleurer, non, mais son cœur se serre comme si cet homme lui-même le tenait au creux de son poing, comme s’il le compressait pour lui dire, je suis là, je suis là et je t’aime, je suis là, n’abandonne pas. Jamais. Alors elle se détourne. Son petit poing de femme saisit fermement l’épée du combattant, l’épée de l’époux, l’épée d’un honneur conservé. La lame brille à travers la souillure, la boue et la chair. Elle aime cette épée comme elle l’a aimé, lui. Comme un don du ciel. Les nuages s’épaississent. Elle se relève. Elle redresse la tête, avec tout l’amour qu’elle portait à cet homme, qu’elle porte à la guerre, qu’elle porte à la Vie. Elle domine le paysage, valkyrie perdue dans l’immensité grise. Elle surplombe les collines, contemple le charnier, les corps entremêlés, les lances plantées au sol. Et elle sourit. Fière. Elle a survécu à ça. Grâce à lui, grâce à eux, grâce aux Dieux. Mais surtout, pour lui. Pour eux. Pour les Dieux. Elle est là, femme en armure, brandissant une arme trop lourde vers ces cieux trop bas ; et à la première pluie, au premier éclair, elle saura que Thor abat pour elle son marteau d’acier sur le monde.

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