Lagertha Lothbrok. (texte perso ©)

Elle
se penche. Lentement. Elle écoute. Elle écoute et ce silence total l’effraie.
Un genou à terre. Sur son visage, le sang d’un autre a déjà séché. Elle
s’autorise à respirer de nouveau. Et cette inspiration lui fait plus mal encore
que la plaie béante le long de sa cuisse nue. La fumée noire se propage dans le
ciel. Et tout autour, le vide. La solitude, qui réveille toutes les douleurs.
Mais… elle est vivante ; les dieux ont eu la clémence de lui offrir une
dernière chance. Pourquoi elle ? Ils étaient ensemble sur le champ de
bataille. Elle n’est pas plus méritante que les hommes qu’elle épaulait, les
hommes qui sont morts au combat et dont les cadavres s’étendent à ses pieds,
jonchant l’herbe roussie de cette plaine immense. Elle n’est pas triste. Presque
pas. Non, elle les envie : ils doivent être en route pour le Valhalla –
lorsqu’ils en passeront les portes, ils festoieront en paix. Pas comme elle,
qui a survécu au carnage. Pas comme elle, qui a remporté les droits de
l’existence malgré cette défaite. Pas comme elle dont les doigts fins viennent
effleurer la joue de l’époux qu’elle vient de perdre. Elle le retrouvera, plus
tard. Jusqu’à ce que ce moment arrive, elle sait qu’il l’accompagnera. Partout.
Toujours. Elle sait qu’il lui donnera la force. La force d’élever leurs deux
fils. Seule. La force de retourner se battre sans relâche. Seule. La force
d’avancer. Seule. Elle ne pleurera pas ; elle ne sait pas pleurer.
Pourtant, en contemplant les traits figés de son guerrier défunt, elle se
souvient avec mélancolie. Elle se rappelle leurs nuits d’amours, elle l’entend
encore murmurer son nom, dans un souffle, dans un cri, elle plonge dans l’océan
de ses yeux désormais éteints… et s’y laisse couler. Avec sa voix voguaient les
drakkars, et elle voyait le fjord au fond de ses pupilles. Elle ne sait pas
pleurer, non, mais son cœur se serre comme si cet homme lui-même le tenait au
creux de son poing, comme s’il le compressait pour lui dire, je suis là, je
suis là et je t’aime, je suis là, n’abandonne pas. Jamais. Alors elle se
détourne. Son petit poing de femme saisit fermement l’épée du combattant,
l’épée de l’époux, l’épée d’un honneur conservé. La lame brille à travers la
souillure, la boue et la chair. Elle aime cette épée comme elle l’a aimé, lui.
Comme un don du ciel. Les nuages s’épaississent. Elle se relève. Elle redresse
la tête, avec tout l’amour qu’elle portait à cet homme, qu’elle porte à la
guerre, qu’elle porte à la Vie. Elle domine le paysage, valkyrie perdue dans
l’immensité grise. Elle surplombe les collines, contemple le charnier, les
corps entremêlés, les lances plantées au sol. Et elle sourit. Fière. Elle a
survécu à ça. Grâce à lui, grâce à eux, grâce aux Dieux. Mais surtout, pour
lui. Pour eux. Pour les Dieux. Elle est là, femme en armure, brandissant une
arme trop lourde vers ces cieux trop bas ; et à la première pluie, au
premier éclair, elle saura que Thor abat pour elle son marteau d’acier sur le
monde.


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